Ce texte a été rédigé par Marie à partir des archives militaires et civiles. Un grand merci pour cette biographie originale.
ROBIN Edmond Joseph Marie
Saint-Michel-Chef-Chef
1888 - 1915
65ᵉ régiment d'infanterie
Mort pour la France
"Pour l'éternité, j'ai 27 ans. Je suis un nom gravé en lettres d'or sur le granit gris érigé à Saint-Michel-Chef-Chef en souvenir de ses enfants morts pour la France, un soldat disparu, comme tant d'autres , au combat ou des suites de blessures ou maladies contractées au front, au cours de la Guerre 1914-1918.
Et toi, mon cher petit-fils, tu en comptes combien, cent dix ans après le début de cette Première Guerre mondiale qui me fut fatale ? Quatre-vingts ? Un peu plus ? Et tu te soucies toujours de moi ?
Veux-tu que te parle un moment de ma vie..
Je vais commencer par ce que tu connais déjà, à savoir la date et le lieu de ma mort, tout en ignorant, sans doute, les circonstances et les hasards qui , inéluctablement m'ont conduit de combats en affrontements. Jusqu'à ce jour funeste , ce 26 septembre 1915. Un jour de plus, et c'était mon anniversaire de mariage, ces trois années qui promettaient tant de bonheur auprès de ma femme et de ma petite Suzanne...Mais je t'en reparlerai plus tard. Retournons au front.
Quand j'ai été mobilisé le 3 août1914 au 65ème régiment d'infanterie de Nantes, tout jeune père de famille d'une petite fille de 11 mois, j'étais sorti caporal( nommé le 28 décembre 1910) du service militaire .
J'avais commencé mon service le 8 octobre 1909 au 1er bataillon de chasseurs à pied. Après l'obtention de mon certificat de bonne conduite, j'étais retourné à la vie civile le 24 septembre 1911, un an quasiment jour pour jour avant d'épouser ta grand-mère Marie.
Le 65ème régiment d'infanterie faisait partie de la 4ème brigade d'infanterie, 21ème division d'infanterie, 11ème corps d'armée. Au moment de la déclaration de guerre, il était composé de 3 bataillons.
Je n'ai pas eu à attendre longtemps pour mon baptême du feu.
Je fus envoyé dans les Ardennes fin août 1914 : Sedan, Bouillon et le terrible combat de Maissin, le 22 août 1914. Tu as dû lire ou entendre dire que cette journée reste la plus meurtrière pour l’armée française qui perdit 27000 hommes en un seul jour.
Le 65ème battit ensuite en retraite vers Martincourt, Chaumont et le bois de la Marfée, Noyers, Pont-Maugis, Bulson, Attigny et Pocancy.
Le général Joffre déclara le 6 septembre 1914, à 9 heures du matin, que « Une troupe qui ne peut plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée »
C’était la première bataille de la Marne qui se déroula du 6 au 13 septembre 1914 : Fère-Champenoise, Morains-le-Petit, Châlons-sur-Marne, Taissy, Sillery. Cette bataille reste célèbre sous le nom de « Miracle de la Marne ». En effet, c’est lors de ces combats que l’avancée ennemie est stoppée. Commence alors la guerre de positions, la guerre de tranchées.
Les combats se poursuivirent pour moi dans la Somme d’octobre à décembre 1914 : Contalmaison, Bazentin-la-Boisselle et Orvilliers.
De janvier à juillet 1915, le 65ème combattit à La Boisselle puis en Artois : Hébuterne, Serre et la ferme du Touvent.
Le 15 juin 1915, retiens bien cette date: j'ai l'honneur d'être nommé sergent, promotion bien gagnée au combat.
Cette fois, je suis envoyé en Champagne, en septembre 1915, à l’attaque de la Butte du Mesnil.
Le 25 septembre 1915, les combats sont terribles. En effet , ordre est donné au 65ème de partir à l’assaut des tranchées ennemies, avec le colonel en tête. Ce dernier est immédiatement tué, « la garde du drapeau est anéantie ».
La postérité lira sur le journal de marches et opérations les pertes de ce jour : 41 morts, 330 blessés et 420 disparus. Au départ de Nantes, le régiment comptait 3447 hommes. En une seule journée, plus d’un cinquième de l’effectif est hors de combat.
Je me demande encore comment j'ai survécu à cette effroyable journée. Pas pour longtemps, peu de sursis pour me réjouir de cette chance incroyable!
Le lendemain 26 septembre 1915 au combat de Mesnil-Les-Hurlus, l'ennemi réparera cet oubli de la grande Faucheuse.
Le même jour, 3 autres de mes compagnons d'armes perdent la vie et 24 sont blessés.
Dorénavant, le pire sera pour les autres, ma famille restée en Loire inférieure, à l'exception de mon pauvre papa décédé le 16 octobre 1912 à Saint-Même.
Saint-Même... C'est là que je suis né, le 6 mars 1888. Avec tant de 8 dans mon année de naissance, l'éternité me semblait promise. Mon père Jean qui a 30 ans est charpentier et maman, Léonide Bonneau, est cultivatrice. Elle a 24 ans. Ils se sont mariés le 20 juin 1887 à Saint-Même et je suis leur premier enfant, l'aîné d'une fratrie de six frères et sœurs : Marie, née en 1891, Jeanne, en 1892, Jean, en 1893, Mathilde, en 1896 et Léonide, en 1901, la seule au XXème siècle !
Je te passe les années d'enfance que tu peux imaginer d'après ce que tu as pu glaner auprès de ta maman et de la famille : enfance plutôt paysanne, dans un village, dans une famille nombreuse et relativement modeste.
Et j'en arrive à mon mariage.
Le 27 septembre 1912, j'épouse Marie Pavageau, dans la belle église toute neuve de Saint-Michel- Chef- Chef , la commune où elle est née le 5 juin 1893. Elle est grande, ses beaux vitraux laissent passer une douce lumière, rien à voir avec l'ancienne , beaucoup plus petite, qu'on a détruite en 1897.
Imagine ta grand-mère dans sa belle robe blanche et moi, le menuisier, sourcils châtains, yeux gris, pas très grand, mais d'une taille courante pour ma génération, 1m59. Mon père Jean est encore parmi nous, plus pour longtemps hélas : il ne survivra pas même un mois à cet événement. Ma mère, Léonide aura plus de chance, qui vivra jusqu'à l'âge de 90 ans...Peut-être l'as-tu connue , puisqu'elle a vécu jusqu'en 1954.
Le 4 septembre 1913, nous accueillons avec fierté notre fille, ta maman, notre premier et unique enfant, vu ma mort précoce. Elle naît à Saint-Michel-Chef-Chef. C'est là aussi qu'elle épousera ton papa, Raymond Macé, le 26 avril 1938, à la veille d'une Seconde Guerre mondiale, elle l'orpheline adoptée par la nation le 7 janvier 1920 dans sa septième année.
Qu'est devenue ma fratrie ? Si tu cherches avec les outils d'investigation modernes, voici ce que tu trouveras :
Ma sœur Marie se marie en 1918 à Saint-Même avec Pierre COIGNAUD et décède en 1990 à l’âge de 99 ans.
Jeanne décède en 1966 à Saint-Même à l’âge de 73 ans.
Jean est aussi charpentier. Il a effectué son service militaire au 77ème régiment d’infanterie à compter du 27 novembre 1913. Il est donc sous les drapeaux au moment de la mobilisation générale. Il est nommé caporal le 25 février 1915. Puis il passe au 409ème le 21 mars 1916. Il est cité 3 fois et a été décoré de la médaille militaire. Il épouse Anne LÉAUTÉ en 1937 à Saint-Même et décède le 11 mai 1953 à Saint-Brévin à l’âge de 59 ans.
Léonide se marie en 1922 avec Henri BOSSY et décède en 1978 à Sainte-Pazanne à l’âge de 76 ans.
Le lieu de décès de Mathilde est, pour le moment , inconnu.
Mais là , je ne suis plus, ni acteur, ni témoin de rien .Tes parents t'ont sûrement donné tous les détails qui t'intéressaient sur leur vie et celle des proches.
On pourrait inverser les rôles, si tu veux. ..Tu as sûrement beaucoup de précisions et d'anecdotes à rajouter.
J'ai aimé ce moment de complicité.
Sources primaires et documentation
Ces sources fondamentales ont permis de vérifier et d'établir le récit de cette biographie.
Le Drapeau : La légende de Mesnil-lès-Hurlus. Si Xavier Desgrées du Loû est passé à la postérité, ce n'est pas uniquement parce qu'il était un colonel respecté ou le frère du fondateur du journal L'Ouest-Éclair (futur Ouest-France). C'est parce que sa mort incarne l'image d'Épinal du sacrifice de l'officier menant ses hommes.
Le Contexte : La grande offensive de Champagne. Le 25 septembre 1915, l'armée française lance une attaque massive en Champagne pour percer le front allemand. Xavier Desgrées du Loû commande le 65e Régiment d'Infanterie (65e RI), un régiment de "l'Ouest" (Nantes/Vannes). Son objectif est terriblement difficile : les tranchées allemandes du secteur de Mesnil-lès-Hurlus (lieu-dit "Le Poignard" et "Les Mamelles").
L'acte héroïque. À l'heure H, l'assaut est lancé. Mais les vagues d'assaut sont immédiatement fauchées par les mitrailleuses allemandes intactes. Les hommes hésitent, plaqués au sol par le feu ennemi. C'est alors que le Colonel Desgrées du Loû (55 ans), voyant son porte-drapeau tomber, accomplit le geste qui fera sa légende. Il ramasse lui-même le drapeau du régiment, grimpe sur le parapet de la tranchée et s'élance à découvert en criant : "En avant ! Vive la France !".
La Mort et l'Image. Il parcourt quelques mètres avant d'être criblé de balles et de s'effondrer. Son sacrifice galvanise ses hommes qui repartent à l'assaut (bien que l'attaque finisse par échouer devant les barbelés intacts). Cette scène héroïque deviendra célèbre grâce à une couverture du magazine "L'Illustration" (20 novembre 1915) qui représente le colonel, drapeau en main, face à la mort. Cette image a marqué toute une génération et fixé le mythe du "chef qui montre l'exemple".
Une tombe disparue. Fait poignant : son corps, resté dans les lignes ennemies, fut enterré par les Allemands avec les honneurs militaires quelques jours plus tard, en hommage à son courage. Malheureusement, les bombardements ultérieurs ont bouleversé le terrain et sa tombe a été perdue. Il repose aujourd'hui quelque part dans la terre de Champagne, inconnu parmi les inconnus.