AUBIN Pierre Marcel
Les Moutiers
1913 - 1942
Mort pour la France
Pierre est né le 25 novembre 1913 à Angers.
Il a un frère, Charles, né en 1911.
Il épouse Bernadette DUGUÉ le 12 avril 1938.
Le père de Bernadette est mort pendant la Première Guerre Mondiale.
Pierre, son époux, est abattu par les allemands en 1942.
Son père, Georges AUBIN, charpentier natif de Nantes et sa mère, Clémentine MERCIER, lingère native de Mazé (49) se marient le 9 juin 1894 à Beaufort-En-Vallée (49)
Le couple a deux enfants : Charles né en 1911 et Pierre né en 1913.
Pierre est donc né le 25 novembre 1913 à Angers.
Cimentier, il épouse Bernadette Jeanne DUGUÉ le 12 avril 1938 aux Moutiers. Ils ont un fils, Jean-Pierre.
Bernadette a été adoptée par la Nation, son père étant mort pour la France pendant la Première Guerre Mondiale alors qu’elle n’avait que 3 mois (voir ici la biographie de Charles DUGUÉ)
Laissons Bernadette raconter le drame survenu en 1942.
Extrait du livre de Bernadette AUBIN, l’épouse de Pierre, "Une existence dans un siècle de turbulences" :
« …/…
Saint-Brévin grouillait de soldats allemands, sur le pied de guerre pour surveiller la côte dans l'attente d'un éventuel débarquement allié et occupés à faire construire les blockhaus par les français réquisitionnés. Nous étions donc bien « gardés».
Après 21 heures (heure allemande) il fallait éteindre les lumières dans les habitations. Depuis le début de l'occupation, nous avions obligation d'occulter les ouvertures de nos maisons, à la tombée du jour. Nos vitres étaient garnies d'un papier bleu, opaque, et le moindre interstice pouvant laisser entrevoir la lumière de l'extérieur devait être bouché. Chaque soir on entendait les bruits de bottes dans la rue et cela créait une tension forte dans les maisons. Au moindre éclat de voix ou rais de lumière provenant d'un logement, vous aviez droit à un coup de crosse de fusil dans la porte. Après le passage de la colonne allemande, certains se risquaient à descendre à la cave écouter la radio camouflée sous du fatras.
Le 28 mars 1942, les Anglais débarquèrent par surprise, avant l'aube, à Saint-Nazaire [opération Chariot : voir plus bas, Un soldat, un mot"] . J'ai cru que j'allais devenir folle cette nuit-là. Toute la journée, on entendit les tirs et les explosions et on voyait l'embrasement de la ville sans savoir ce qui se passait. On ne l'apprit qu'un peu plus tard. Pierre hébergeait à la maison R. V., un de ses collègues de Paimboeuf. En congés, ce samedi 28 mars, ils décidèrent d'aller au ravitaillement, ce qui me paraissait peu raisonnable mais ils me rassurèrent avant de sortir. De mon côté je partis me procurer du petit lait (du lait écrémé - on ne trouvait plus que cela) à deux kilomètres, à travers chemins et bosquets. Les tirs incessants en provenance de Saint-Nazaire étaient inquiétants et à l'abri des haies je tâchais de distinguer à la dérobée ce qui se passait, tout en pressant le pas. En rentrant, je vis avec soulagement que les deux hommes étaient de retour... la nuit allait bientôt venir. J'en étais à terminer la vaisselle après le repas quand soudain, un coup de crosse dans la porte et un ordre me glacèrent le sang : « Ouvrez, police allemande !» Deux soldats, l'air tendu, m'ordonnèrent d'éteindre la lumière et repartirent.
Vraiment, il se passait quelque chose de grave à Saint-Nazaire... Vers quatre heures du matin, les tirs sur la ville ayant redoublé, Pierre et R. décidèrent de sortir voir ce qui se passait et se glissèrent en rampant sur la dune pour observer, juste derrière la maison. J'étais folle d'inquiétude de les voir prendre un tel risque. Ils crurent comprendre que les Anglais avaient investi Saint-Nazaire et que les Allemands n'avaient plus de munitions. Vers six heures, ils partirent à leur travail, comme d'habitude.
Dans la matinée, alors que les gens sortaient sur le pas de la porte pour se tenir informés, un Boche arpentait la rue en criant : « Tommies débarqués Saint-Nazaire! Raus ! » intimant l'ordre aux badauds de se cloîtrer chez eux. Des Brévinois étaient prêts à exhiber les drapeaux français ! Ce n'était pas encore le moment... Il y avait une tension extrême. Un voisin artisan peintre, gentil et rassurant, m'invita : « Venez chez nous, ma petite fille, ne restez pas toute seule, on sera mieux tous ensemble...» Et puis la défense passive déboula sur une voiture en annonçant à l'aide d'un porte-voix : « Une demi-heure de ravitaillement! Pressons ! » Je crois que dans la précipitation et l'affolement général je ne payai même pas les boudins que j'avais pu obtenir. Personne ne paya sa marchandise, d'ailleurs... »
« En novembre 1942, nous étions de retour aux Moutiers.
Nous ne participions pas concrètement à un réseau de Résistance mais nous essayions, quand c'était possible, de poser quelques actes pour exprimer notre hostilité à l'occupant. Fleurir les sépultures sommaires des victimes anglaises du bombardement du Lancastria du 17 juin 1940, faisait partie de ces symboles. (La présence de nombreux yuccas le long du sentier côtier est liée à cet évènement : ces arbustes avaient été plantés sur les tombes improvisées afin d'en repérer l'emplacement. Plus tard, les corps avaient été rassemblés dans un cimetière anglais, sur la dune).
Le 8 novembre 1942, on avait appris à la radio que le drapeau français flottait sur Alger. Pierre, fou de joie, disait : « Ça y est! On va s'en sortir ! » Et pour fêter l'évènement, il décida d'aller porter un bouquet au cimetière anglais. Mais, à l'approche de la dune, des soldats allemands accompagnés de collabos barraient le passage. Mon mari, téméraire, nous entraîna à travers le marais pour contourner le barrage et on put déposer nos fleurs, comme prévu.
Pierre était un grand consommateur de tabac ; il ne pouvait pas s'en passer et R.V., lui en fournissait régulièrement. Le 21 novembre 1942, un samedi soir, il avait rendez-vous chez ce copain, à la villa Ker Gildas à Préfailles pour refaire sa provision. Certaines nuits, il ne rentrait pas dormir mais, ce jour-là, il m'avait prévenu qu'il serait de retour à la maison en fin de soirée. Toute la journée j'avais exercé et stimulé Jean-Pierre pour qu'il fasse mentir son père qui disait que son fils ne saurait jamais marcher. Et mon petit bonhomme réussissait enfin à aligner quelques pas tout seul ! J'avais hâte que mon mari revienne pour s'en réjouir. Hélas, il n'en eut jamais l'occasion... Pierre a été tué en arrivant chez R.V., dans la cour de la villa.
Incompréhensible... Il a sans doute été victime d'une erreur. Mais je n'ai jamais vraiment su. Je n'ai pas compris ce qui a pu se passer... Ni le rôle du copain dans cette histoire, à quel niveau il était concerné... André, un ami, m'a expliqué avoir fait route avec Pierre jusqu'à Préfailles et qu'il était à l'heure à son rendez-vous de sept heures et demie. En revanche, R.V. a prétendu qu'il était absent et qu'il n'était revenu chez lui qu'à neuf heures moins le quart trouvant mon mari mort, dans une mare de sang, son vélo ensanglanté à ses côtés.
Cela ressemblait à une exécution à bout portant.
André avait assisté au drame mais n'avait pas été autorisé à venir me le dire et ce n'est que le dimanche matin que le maire des Moutiers vint me prévenir, me trouvant folle d'inquiétude. Quand j'ai su, j'ai amené Jean-Pierre chez tante, informé maman du malheur qui était arrivé et j'ai filé vers Préfailles, sur mon vélo, dans un épais brouillard, accompagnée d'André. Entre-temps, les Allemands avaient déplacé Pierre dans une sorte de caveau qu'ils gardaient nuit et jour.
Le frère de Pierre m'attendait sur place et un Allemand nous empêchait d'approcher du corps de mon mari. André raconta ce qu'il avait vu : un soldat tirant sur mon mari dans cette cour et l'achevant quand il tentait de se relever. Nous ramassâmes cinq balles sur le sol. La femme de R. V., enceinte, était traumatisée de ces va-et-vient de Boches chez elle.
Que faire ? Tremblant comme une feuille et soutenue par mon beau-frère, je me rendis à la kommandantur, pour les formalités. Je ne reçus aucune explication plausible au drame qui était survenu; il y eut seulement un officier, un peu plus humain, qui me dit : « Madame, grand malheur, c'est la guerre... Erreur, erreur. » Je n'en sus pas plus. J'avais demandé à ce que la dépouille de mon mari revienne aux Moutiers et notre maire m'avait rassurée, me disant même qu'il serait inhumé comme un soldat, mais le maire de Préfailles prétendait que les Allemands refuseraient sans doute. Je n'eus le droit d'accéder au corps de Pierre que le lundi. J'ai voulu le voir contre l'avis de ceux qui m'entouraient, par crainte du choc que je subirais. Et en effet, je n'aurais pas dû... Pierre, jeté comme un paquet sur un matelas, était encore couvert de sang, la tête fracassée. Cette vision était atroce.
Les gendarmes français ont enquêté mais sans plus de résultat, évidemment. Trois mois plus tard je fus convoquée devant un conseil de guerre allemand à Paimboeuf qui devait juger des responsabilités au sujet de la mort de Pierre.
Les soldats ont toujours prétendu qu'ils l'avaient tué sur la rue parce qu'il refusait leur sommation de stopper. Mais c'est impossible, Pierre n'était pas dans la rue, mais chez quelqu'un quand il a été abattu. André témoigna courageusement en contestant la version allemande. Mais rien n'y fit. Vraisemblablement, les Allemands, à la poursuite d'un résistant ou d'un parachutiste anglais (des avions anglais avaient été abattus quelques jours plus tôt) avaient commis une erreur. Mon mari était en effet toujours habillé en costume de marin, bleu comme les uniformes anglais. Mais, bien sûr, rien de cette éventuelle explication à sa mort n'a été évoqué. Lors de ce procès on l'a plutôt fait passer pour un bandit et, à l'issue, j'ai signé un papier rédigé en Allemand sans savoir ce qui était écrit. Qu'avais-je paraphé ? La mort de Pierre m'a attiré tous les ennuis et pour commencer, aucune indemnisation. Peut-être même ai-je évité de justesse une arrestation... J'aurais voulu, par la suite, faire éclater la vérité, mais c'était impossible d'obtenir justice face à l'arbitraire allemand.
En sortant de cette mascarade de conseil de guerre, je demandai, comme j'y avais droit, le remboursement de mon voyage par le train Pornic-Paimboeuf. Je fus repoussée brutalement par le « Raus ! » d'une sentinelle. Choquée, je partis en courant à la gare et, reprenant mon vélo à Pornic pour rentrer aux Moutiers, je ne cessais de regarder derrière moi, craignant d'être poursuivie.
Les mois qui ont suivi, j'étais complètement révoltée, je ne voulais plus croiser l'occupant et pas question de les servir, au restaurant. Un jour qu'une riche cliente me demandait de servir un groupe de convives et m'avait caché qu'il s'agissait d'Allemands, je persistai dans mon refus, la plaquai là et me sauvai du restaurant. Elle me cria « Je te livrerai !» Je récupérai mon fils, rentrai chez moi et me barricadai, m'attendant à être arrêtée d'un moment à l'autre. Finalement pas, mais j'étais en pleine détresse morale... Ce jour-là, j'ai failli me suicider de désespoir et de colère. C'est la vue de mon petit garçon qui m'a retenue.
Mon ressentiment envers les Allemands était si fort et a duré si longtemps que, quand j'ai vendu ma maison des Moutiers, trente ans plus tard, je ne voulus pas apposer ma signature aux côtés de celle d'un acheteur allemand. Il fallut passer par le truchement de l'achat par sa compagne, française, pour que j'accepte. J'étais vraiment heureuse de n'avoir pas cédé, jubilant de cette petite victoire... Ça peut paraître bête et dérisoire de ma part mais j'ai vécu cette transaction immobilière encore animée d'un esprit de revanche. .../...»
Bernadette AUBIN née DUGUÉ, autrice du livre "Une existence dans un siècle de turbulences" dont nous avons extrait des passage.
L'ouvrage, qui a été édité après son décès, est disponible à la bibliothèque des Moutiers.
"Vous avez deviné sans peine,
Ce petit coin que j’ai décrit,
Son horizon mais c’est le même,
C’est celui de votre pays
Je sais que vous me pardonnerez
Si je l’ai un peu embelli
Mais ce pays c’est Les Moutiers
Et tous ces gens sont mes amis."
Extrait de la chanson « Ce vieux pays » texte de Bernadette AubinNous avons écrit à l’ONAC qui a attribué la mention Mort pour la France le 14 février 1950 à Pierre AUBIN pour avoir des explications. Nous transcrivons ici sa réponse :
« Les recherches entreprises à partir de la cote communiquée par vos soins, au sein des bases de données et des dossiers conservés par la division des archives des victimes des conflits contemporains, ont permis d'identifier le dossier de décès de l'intéressé. Celui-ci contient les éléments suivants :
"AUBIN Pierre Marcel, né le 25 novembre 1913 à Angers (Maine et Loire), victime civile, a été tué par une patrouille allemande qui cherchait apparemment un soldat britannique, le 21 novembre 1942 à Préfailles (Loire Inférieure). Les circonstances du décès ont permis l'attribution de la mention « Mort pour la France » en date du 14 février 1950. Mme AUBIN était domiciliée au moment des faits …/… à Nantes (Loire Inférieure)."
Le chargé d'études documentaires hors classe chef de la division archives des victimes des conflits contemporains. »
C’est donc la même version que celle de Bernadette.
Un grand merci à Aurélie qui, lors de ses recherches aux archives des Moutiers, a permis de trouver un cahier d’écolier avec ce petit texte qui a éveillé notre attention. Le nom de Pierre n’est pas sur le monument aux morts. La tombe de Pierre de porte pas la mention « Mort pour la France ». Nous avons proposé à la mairie de réparer ces oublis.
Laissons les derniers mots à Madame Le Maire des Moutiers, Pascale Briand, article paru dans le journal municipal été 2016 page 10 :
« Adieu Madame AUBIN ! Adieu Bernadette !
L’an dernier, 6 mois après avoir soufflé vos cent bougies, le glas commémorant le centenaire du décès de votre père sonnait au clocher de l’église. Depuis votre plus tendre jeunesse la vie ne vous aura pas épargnée. Les allemands, au cours des deux conflits mondiaux vous ont pris des êtres chers : votre père, Charles DUGUÉ Mort pour la France le 25 septembre 1915 en Champagne puis votre époux Pierre AUBIN abattu dans des circonstances obscures le 21 novembre 1942 à Préfailles.
Vous avez souvent connu la misère mais, d’un naturel optimiste et volontaire, vous avez traversé les épreuves avec enthousiasme et une rage de vivre communicative.
Débordante de vitalité, vous avez été tour à tour serveuse, secrétaire, comptable, résistante. Artiste reconnue, vous avez aussi brillé sur scène. En écrits et chansons vous avez glorifié votre cher pays de Retz et vos chers Moutiers, terre de votre enfance, terre de votre vie.
Malheureusement pour nous tous, le 5 mai dernier vous avez tiré votre dernière révérence, les lumières se sont éteintes et le rideau est tombé. Vos yeux vifs et malicieux se sont fermés. Vous nous laissez malgré tout de riches témoignages et des œuvres précieuses. Vous nous laissez surtout plus qu’un exemple de vie, un modèle de volonté, de foi, d’amour et de patriotisme.
Chapeau bas et au revoir l’artiste !
Que votre famille veuille bien accepter de votre commune ses plus sincères condoléances et marques de sympathie ! »
Sources primaires et documentation
Ces sources fondamentales ont permis de vérifier et d'établir le récit de cette biographie.
En cours
Il s’agit d'un raid militaire britannique spectaculaire mené dans la nuit du 27 au 28 mars 1942, contre les installations portuaires de Saint-Nazaire.
L’objectif principal est de détruire la « Forme Joubert », une grande forme de radoub (bassin de réparation) qui était la seule sur la façade atlantique pouvant accueillir le cuirassé allemand « Tirpitz ». Sans cette infrastructure, le « Tirpitz » ne pourrait pas être réparé en cas de dommage, ce qui limiterait sa capacité à opérer dans l’Atlantique.
Les Britanniques ont utilisé un vieux destroyer, le « HMS Campbeltown », rempli d'explosifs et modifié pour ressembler à un navire allemand.
Ce navire a foncé sur la porte de la « forme Joubert » à grande vitesse, s’y est encastré, puis a explosé plusieurs heures plus tard, causant d’importants dégâts.
Pendant ce temps, des commandos britanniques débarquaient pour saboter d’autres installations portuaires.
Le raid a causé de lourdes pertes : beaucoup de commandos ont été tués ou capturés, mais l'objectif a été atteint.
La « forme Joubert » est rendue inutilisable pour le reste de la guerre et le « Tirpitz » ne viendra jamais dans l’Atlantique. C’est un succès stratégique pour les Alliés malgré les pertes humaines.
L'opération est encore aujourd'hui considérée comme l'un des raids les plus audacieux de la guerre.
De nombreux participants furent décorés, dont 5 recevront la Victoria Cross, la plus haute distinction militaire britannique.