AUDION Joachim Jean Marie
Chauvé
1886 - 1916
3e régiment d'infanterie coloniale
Mort pour la France
En bref
Joachim est né le 5 avril 1886 à Arthon.
Engagé, il est mobilisé dans le 3è régiment d'infanterie coloniale.
Il est à bord de la « Provence II » le 23 février 1916 au départ de Toulon.
Le 26 février 1916, la « Provence II » est torpillée au large de la Grèce, par un sous-marin allemand. Le bateau français sombre rapidement. Seuls 870 hommes survivront à ce drame.
Joachim fait partie des 1230 victimes. Son corps ne sera jamais retrouvé.
Une plaque mémorielle est posée sur la sépulture familiale de Joachim dans le cimetière de Chauvé.
Pour aller plus loin
Joachim est né le 5 avril 1886 à Arthon. Son père, prénommé aussi Joachim, est alors cultivateur à La Grande Boutinière à Arthon et sa mère, Angélique Philomène HÉRY, est également cultivatrice.
Il est l’aîné de 4 enfants. En effet, Philomène naît en 1890, Marcel en 1899 et Germaine en 1900.
Il effectue son service militaire à compter du 9 octobre 1907 dans le 2ème régiment de zouaves. A cette époque, Joachim est laboureur à Chauvé avec ses parents. Il décide de s’engager pour trois ans le 28 juin 1909. Il est alors affecté au 2ème régiment d’infanterie coloniale. Le certificat de bonne conduite lui est accordé.
Il a les cheveux châtains, les yeux bleus et mesure 1m58.
Joachim se marie le 6 novembre 1911 à Brest avec Marie Eugénie BRIAND. Ils ont un fils, Léon né le 25 mars 1912 à Brest.
En 1913, Joachim, couramment appelé Léon est facteur à Paulx (44)
Il passe dans la réserve de l’armée active le 9 octobre 1912. Il est mobilisé le 25 août 1914 et est affecté au 3ème régiment d’infanterie coloniale le 14 décembre 1915.
Il est décoré de la médaille du Maroc.
Le 2 août 1914, à la déclaration de la guerre, la Marine nationale réquisitionne le paquebot la « Provence » et le nomme la « Provence II » en raison de l'homonymie avec le cuirassé la « Provence » déjà en service. Rapidement, le luxueux paquebot est transformé en croiseur auxiliaire et en janvier 1915, il est utilisé pour le transport des troupes vers les Dardanelles.
Le 23 février 1916 au soir, le paquebot la « Provence II » part de Toulon pour Salonique avec 1 700 soldats dont un important détachement du 3ème régiment colonial. Joachim est de ceux-là. 400 hommes d’équipage et près de 200 chevaux et mulets de l’armée sont aussi à bord. Mais l’armée allemande a investi la Méditerranée…
Le 26 février 1916, vers 15h, la « Provence II » est torpillée près du Cap Matapan, au large de la Grèce, par le sous-marin « U35 ». Touché à tribord, le bateau français sombre rapidement, dans une panique générale. Seuls 870 hommes survivront à ce drame.
Le député de la Seine Bokanowsky est à bord de la Provence II lors de son naufrage.
Il a écrit le 29 février 1916 au Président de la République la lettre suivante :
« Monsieur le président,
Vous connaissez sans doute, dans les détails le fatal destin de la Provence II.
Je voudrais vous dire, pour atténuer la douleur de la France, la belle attitude de ceux qui, entre mer et ciel, se préparèrent à ce moment à mourir pour la patrie.
Nous avions, à bord, un bataillon et quelques éléments du 3ème régiment d'infanterie coloniale. Soldats et équipage firent preuve, devant le danger, d'un calme merveilleux.
J'étais, au moment du choc, sur la passerelle, avec le commandant du bord, son second et quelques officiers supérieurs. Nous dirigeâmes les manœuvres, orientant les indécis, distribuant des ceintures de sauvetage, faisant mettre à la mer les canots et les radeaux. Pas un cri, pas une lamentation, pas la moindre panique. Le calme fier d'hommes qui, depuis longtemps, ont voué leur vie à la sublime cause qui les a armés.
J'étais, au moment du choc, sur la passerelle, avec le commandant du bord, son second et quelques officiers supérieurs. Nous dirigeâmes les manœuvres, orientant les indécis, distribuant des ceintures de sauvetage, faisant mettre à la mer les canots et les radeaux. Pas un cri, pas une lamentation, pas la moindre panique. Le calme fier d'hommes qui, depuis longtemps, ont voué leur vie à la sublime cause qui les a armés.
Tout le monde eût été sauvé s'il n'eût dépendu que des chefs et des hommes que tous soient sauvés. Malheureusement, le navire s'enfonçait rapidement. L'eau pénétra bientôt dans les chaudières. Quand elles commencèrent à exploser, vers 15 heures 10, je me jetai à la mer, nageant aussi rapidement que possible pour m'éloigner du rayon de succion. Quelques minutes après, de formidables explosions retentirent. Je me retournai et je vis la fin. Le navire piquait au fond par l'arrière. Le commandant Vesco, resté sur sa passerelle, cria d'une voix dominant le tumulte : « Adieu, mes enfants ! » Les hommes, massés en grappes sur le pont-tente d'avant, répondirent en une acclamation enthousiaste « Vive la France ! » Autour du navire, les naufragés, nageant ou réfugiés sur les canots et radeaux, virent la Provence II s’enfoncer soudain, le pont avant perpendiculaire à la mer. Ils saluèrent, de leur côté, du cri de « Vive la France ! » Il était 15h15.
Après environ une demi-heure de nage, je pus accoster un radeau déjà surchargé et sur lequel les occupants me hissèrent. La nuit tomba, le vent était froid et mordait la chair des hommes presque nus pour la plupart. Durant l'interminable nuit, pas une plainte. Mes camarades d’infortune n'avaient de paroles que pour s'apitoyer sur le sort des noyés et pour exécrer le Boche qui, ni avant ni après son coup de traîtrise, n'avait osé apparaître et montrer son pavillon. Dans l'eau jusqu'à la ceinture, claquant des dents, soutenus par le désir de survivre et de pouvoir châtier les infâmes, nous fûmes recueillis, 18 heures après, par un chalutier. Quelques hommes, sur les radeaux, étaient morts de froid, la raison de plusieurs autres était égarée. Un patrouilleur anglais et un torpilleur français se partagèrent les rescapés, les uns allant sur Milo, les autres sur Malte. J'étais des derniers, nous étions dans la rade anglaise, hier, vers 13heures.
Vous me saurez gré, j'en suis sûr, de vous relater ces faits et de vous signaler quelques traits qui, pour l'honneur de la race, méritent d'être cités à la postérité.
Le capitaine de frégate Vesco, commandant la Provence II, le lieutenant de vaisseau Besson, commandant en second, le colonel Duhalde, commandant le 3ème régiment d'infanterie coloniale, sont restés jusqu'à la dernière seconde de la vie du navire, accrochés à la passerelle, dans le plus noble esprit de sacrifice, donnant avec calme des ordres précis et utiles pour le sauvetage des passagers.
Les canonniers de la pièce arrière de la Provence II, ayant armé leur canon dès le torpillage sont restés à leur poste, tachant à découvrir l'ennemi caché pour le châtier, jusqu'à ce que leur pièce ait été complètement immergée.
Le lieutenant de vaisseau Noël, commandant le Chalutier Canada ayant reçu le signal de détresse, se lança à la recherche des naufragés, parvint à découvrir après de longs efforts et procéda à leur sauvetage dans des conditions extrêmement pénibles, sans prendre aucun repos pendant trente-six heures consécutives.
Le médecin major de 2ème classe Navarre, du 3ème régiment d'infanterie coloniale, hissé à bord d'un chalutier, à demi épuisé par dix-huit heures passées sur un radeau, a refusé de changer ses vêtements trempés et de prendre aucune nourriture avant d'avoir pansé les naufragés blessés et soigné les malades. Est resté longtemps affaissé après ces efforts surhumains.
Et ce dernier trait, beau à faire pleurer : Gauthier, aide-fourrier de l'équipage de la Provence II, étant réfugié sur un radeau archiplein accosté par un soldat demandant du secours, s'est jeté à l'eau pour lui céder sa place, en disant : « Le devoir d'un marin est d'abord de sauver les soldats.» Il a été recueilli vingt et une heures après le naufrage agrippé à une planche.
Je signale aussi le dévouement et l'empressement, dignes de notre gratitude, du lieutenant Sinclair Thomson, commandant le patrouilleur anglais Marguerite, de ses officiers et de son équipage, par les soins desquels 300 naufragés environ ont été ramenés du lieu du sauvetage à Malte.
Veuillez excuser la forme de ce récit, monsieur le président. Je l'écris rapidement d'une main contusionnée et avec une tête encore bien faible. J'ai voulu, avant mon prochain embarquement pour Salonique, vous dire avec mon cœur : « Voilà ce qu'ont été ces braves gens. »
Recevez, etc.
BOKANOWSKI.
Voici le récit d'un rescapé de la Provence II, le soldat Louis LERAY, originaire du Pellerin, dans un article publié dans l’Echo de Paimboeuf daté du 1er avril 1916 (page 2 commune Le Pellerin) : « La famille Leray, du village de la Corbellière, avait son fils Louis embarqué à bord de la Provence dont on se rappelle le naufrage.
Sitôt la catastrophe connue, elle fut plongée dans la plus dure inquiétude et attendait avec impatience des nouvelles. Mais rien, pendant plusieurs jours. Enfin, les journaux publièrent les listes des survivants. Sur une de ces listes, il y avait bien un Louis Leroy et non Louis Leray, mais le nom avait été simplement mal orthographié et quelques jours plus tard, les bons parents avaient la joie de recevoir une lettre du brave rescapé lui-même.
Voici ce qu'il leur racontait : Le 23 février, à 6 heures, la Provence prenait la mer pour Salonique. Il faisait déjà nuit et comme on arrivait au large et que les côtes s'effaçaient de plus en plus, chacun se décida à se coucher. Le lendemain matin, au lever du jour on ne voyait que l'eau ; dans l'après-midi, les côtes d'Italie apparurent à l'horizon. Jusqu'à 4 heures du soir, il fit un beau soleil. Tous les passagers étaient contents. Le 25, vers 10 heures, le navire arrivait en vue de I ’île et du port de Malte. Tout marchait à merveille.
Cependant le jour de la catastrophe était arrivé. Le matin, au réveil, la mer était houleuse. Sur le pont, on regardait le roulis et cela même amusait parce que de temps en temps quelques passagers attrapaient des paquets de mer. On chantait quand même le « roulis-roulis ». A trois heures, dit Louis Leray, je faisais le pansage de mes chevaux. Cette corvée dura à peu près dix minutes. A peine avais-je déposé le seau dans lequel je venais de donner l'avoine, qu'un bruit sourd se fait entendre suivi d'un choc dans l'arrière du bateau. Je regarde et aperçois de la fumée qui sortait en face le mât. On venait d'être torpillé. Je traverse l'endroit où la torpille avait défoncé le bateau. Deux hommes gisaient sur le pont; ils avaient été tués net. Des cris de désespoir s'échappaient de tous côtés. Sans perdre mon sang froid, je commence par couper mes lacets de souliers en attendant le moment propice de me jeter à la mer. On lança promptement les baleinières, des madriers et des radeaux. Beaucoup de soldats sautèrent dans les baleinières d'une hauteur d'au moins quinze mètres, ils durent se briser les jambes. Moi qui voulais me lancer également à l'eau, j'étais obligé d'attendre ; enfin, j'attrape une corde et saute dans l'élément liquide à un endroit où il n'y avait personne.
Après avoir nagé pendant 50 mètres, je me trouve auprès d'un radeau où il y avait déjà quinze passagers. De temps en temps, il nous en venait d'autres, de sorte que bientôt nous étions au complet. Je vous assure que j'étais à bout. A chaque vague, je trempais jusqu'au ventre ; cela ne me faisait rien, je me savais en pleine sécurité.
La « Provence » a disparu complètement dans l'espace d'un quart d'heure ; mais ce fut un quart d'heure de spectacle affreux. Plus de 1000 soldats et marins étaient restés sur le pont supérieur avant du bateau. Je vis le tout s'engouffrer d'un seul coup en poussant des cris épouvantables. II en restait dans l’eau, tout debout, au moins 300, maintenus par les ceintures de sauvetage qu'ils avaient sur eux ; d'autres étaient montés sur des bottes de foin ou sur des planches. Chacun s'accrochait où il pouvait.
Il me faudrait tout un journal pour vous raconter cette scène lugubre ; aussi ne vous dirai-je plus qu'un mot de ma nuit passée sur le radeau. Comme nous étions loin des côtes et, malgré le signal demandant du secours donné par la télégraphie sans fil, il nous fallut attendre jusqu'au matin sur notre frêle embarcation. A trois heures on aperçoit enfin un phare de torpilleur, et d'un autre côté les feux d'un bateau. Quelle joie pour tous les rescapés ! Vivement, on embarqua à bord du torpilleur et jusqu'à midi, on recueillit d'autres naufragés puis on mit le cap sur l'Ile de Milo où nous arrivions à huit heures du soir. Nous y avons passé une nuit et un jour en rade à bord d'un bateau.
Nous regrettons que ce récit s'arrête là ; mais avec l'excellente famille Leray, nous nous réjouissons de voir son fils échappé à une si terrible mort.
NDLR : Louis LERAY, rescapé de ce naufrage, décède le 17 juillet 1916 à Senli en Macédoine. Il était marié et père de famille. (L'Echo de Paimboeuf daté du 17 septembre 1916.)
Joachim, dit Léon, disparaît donc au large de la Grèce sur la « Provence II » le 26 février 1916. Présumé décédé, son décès sera confirmé par le Tribunal de Cherbourg le 23 août 1917.
Parmi les victimes de ce naufrage, on compte trois autres soldats de Loire-Atlantique :
Un soldat originaire du Clion-Sur-Mer : VIAUD Henri Fernand Marie.
Un soldat originaire de Sainte-Pazanne : RELANDEAU Louis Jean Marie.
Un soldat originaire de Saint-Etienne-De-Mer-Morte : TOURNEUX François Jean Marie Similien.
Une plaque mémorielle en souvenir de Joachim dit Léon est posée sur la sépulture familiale dans le cimetière de Chauvé.
La sépulture semble aujourd’hui abandonnée.
Son nom n’apparaît pas sur le monument aux morts de Chauvé mais il est inscrit sur le monument de Paulx (44) avec son prénom usuel : Léon.
Les proches de Joachim
Le papa de Joachim décède en 1923 à Chauvé à l’âge de 63 ans. Il repose dans la sépulture familiale à Chauvé sur laquelle est posée la plaque mémorielle de son fils.
Sa maman décède en 1955 à Saint-Hilaire-de-Chaléons.
Son fils Léon, est adopté par la Nation le 2 juillet 1919. Il épouse Hervelyne HILY en 1935 à Brest. Il décède en 1979 à Brest à l’âge de 67 ans.
Son épouse Marie décède en 1936 à Lambézellec (29) à l'âge de 47 ans.
Philomène, sa sœur, se marie en 1909 avec Alexis CHESNEAU. Elle décède à Saint Brévin en 1951 à l’âge de 60 ans.
Marcel, son frère, se marie en 1922 avec Aimée MORISSON. Il décède en 1944 à Chauvé à l’âge de 44 ans. Il repose dans la sépulture familiale à Chauvé.
Germaine, sa dernière sœur, décède en 1917 à Chauvé à l’âge de 17 ans. Elle repose dans la sépulture familiale à Chauvé.
Sources primaires et documentation
Ces sources fondamentales ont permis de vérifier et d'établir le récit de cette biographie.
L'année 1915 marque un tournant stratégique dans la Grande Guerre. Alors que le front occidental est figé dans la boue des tranchées, les Alliés, sous l'impulsion de Winston Churchill, imaginent une manœuvre de contournement grandiose. L'objectif : forcer le détroit des Dardanelles, prendre Constantinople (la capitale de l'Empire Ottoman, allié de l'Allemagne) et rétablir la liaison avec la Russie.
Tout commence par une tentative de force purement navale. Mais le 18 mars 1915, la flotte alliée se brise sur les mines et les forts turcs (le cuirassé français Bouvet coule en quelques minutes avec tout son équipage). Face à cet échec, il faut débarquer des troupes au sol pour détruire les forts. Le 25 avril 1915, le Corps Expéditionnaire d'Orient (CEO), composé de troupes françaises (coloniaux, zouaves, légionnaires), débarque sur la rive asiatique (Kum Kale) puis sur la pointe de la péninsule de Gallipoli (Sedd-el-Bahr), aux côtés des Britanniques et des ANZAC (Australiens et Néo-Zélandais).
Contrairement aux espoirs d'une campagne rapide, les soldats se retrouvent bloqués sur d'étroites têtes de pont, dominés par les hauteurs tenues par les Turcs commandés par Mustapha Kemal. Le "Front d'Orient" révèle alors son visage impitoyable. Ce n'est pas seulement la guerre des balles et des obus, c'est la guerre du climat.
La soif et la chaleur : en été, la température est accablante, l'eau potable est une denrée rare et précieuse.
Les maladies : les mouches, par millions, recouvrent tout (nourriture, blessures, visages). La dysentery et le paludisme font bientôt autant de ravages que le feu ennemi.
L'odeur : dans cet espace restreint où l'on ne peut pas enterrer les morts entre les lignes, l'atmosphère est irrespirable.
Malgré l'héroïsme des combats (comme ceux de Kereves Dere), l'opération est une impasse. En décembre 1915 et janvier 1916, les Alliés organisent l'évacuation totale de la péninsule. C'est une défaite stratégique, mais l'évacuation se fait sans perte, seul succès de l'opération. Les troupes françaises rescapées ne rentrent pas en France : elles sont dirigées vers Salonique (Grèce) pour former la future Armée d'Orient, ouvrant un nouveau chapitre de la guerre dans les Balkans.